« Je lève l’ancre de ma plume
Et déverse l’encre bleu de mes yeux
Sur ce papier d’écumes

A 32 ans, il est temps de t‘écrire pour te laisser partir
Une bouteille à la mer(e), remède d’un mal de père. »

32 ans, je quitte mon homme, mon taf, mon pays.
A 32 ans toi aussi tu quittais ton pays, ta femme, tes filles… ta vie.
A 32 ans, je me dis qu’il vaut mieux la vivre cette vie.
Ne pas avoir de regret. Y’en a qui n’ont pas eu cette chance.
Toi, t’étais d’jà parti.

J’avais 3 ans. Je ne me rappelle pas de toi.

Une soeur de 5 ans, une autre dans un ventre en deuil,
qui verra le jour quelques jours plus tard.
Même pas encore sur terre et déjà orpheline d’un père.

Je ne me rappelle pas de toi… Pourtant tu m’as manqué.

Tu étais invisible, inaudible, inodore mais pas moins indolore.
Tu étais là sans être là dans nos silences et dans nos pas.
Et de non-dit en tabou, mis bout à bout, des p’tits bouts de toi.
Par-ci, par-là, un peu partout.

Je me suis racontée mille et une histoires, j’ai joué des tours à ma mémoire.
J’ai aimé dans mes rêves éveillés. J’en ai parfois oublié de vivre pour vrai.
En veille, effacée, réfugiée dans mes pensées. Finalement rattrapée par mon passé.

Bonne élève, enfant modèle.
Ne pas faire de vague malgré cette vague à l’âme.
Et ça tangue fort dans mon corps… je crois bien qu’j’ai le mal de père.
Jamais eu le pied marin… plutôt eu besoin d’un parrain.

Il parait qu’avec le temps on oublie. C’est vrai, je ne te pleure presque plus.
J’ai appris à dompter le mal, à apprivoiser mes larmes.
Mais la douleur, elle, continue et le vide, lui, s’accentue.

Il parait qu’avec le temps on oublie.
Mais qu’est-ce qu’on oublie quand on a rien à oublier ?
Quand on a pour souvenir qu’une vielle photo décolorée.

J’aurais aimé ça te connaître, te surprendre, t’émouvoir mais aussi t’en vouloir.
Déconstruire cette idée idéalisée d’un père bien trop parfait.
Alors que je ne sais même pas ce que c’est et qu’ j’sais pas qui tu es.

A 32 ans je me dis qu’il vaut mieux la vivre cette vie.
Ne pas avoir de regret. Y’en a qui n’ont pas eu cette chance.
Toi, t’étais d’jà parti.

J’ai grandi dans ma bulle aseptisée, surprotégée, sublimée…
Manqué de rien. Manqué de rien… Sauf de toi.

Amputée d’une partie de moi.
En partie orpheline à qui l’on a volé l’identité,
En partie clandestine à qui l’on a pris les papiers.
Pas pied dans cette marée humaine,
Pas pied dans le flot de ma peine.

Alors je me suis construite sans tes repères.
J’ai navigué à vue, remonté les courants.
Une force océane, fragile mais téméraire
Envers et contre les mauvais vents
Alors ça tangue fort dans mon corps car oui j’ai le mal de père

Je ne suis pas croyante, mais j’aimerais ça que le paradis existe
Juste pour pouvoir t’y retrouver.
J’aimerais ça qu’on ait plusieurs vies
Pour vivre la prochaine à tes côtés.

Je veux bien être catho, musulmane, juive, bouddhiste…
Tout ce que tu veux
Pourvu juste que je puisse
Me blottir dans tes bras, m’assoir sur tes genoux,
Red’venir petite fille et t’appeler papa.

Je lève l’ancre de ma plume
Et déverse l’encre bleu de mes yeux
Sur ce papier d’écumes.

A 32 ans, il est temps de t‘écrire pour te laisser partir.
Une bouteille à la mer(e), remède d’un mal de père.